Alex : Quel cheminement personnel avez-vous réalisé pour obtenir la qualité de travailleur handicapé ?

PM : Pour simplifier l'origine de mon bégaiement, sachez qu'enfant j'ai connu un défaut d'élocution. J'ai subi à six ans une opération chirurgicale afin d'améliorer mon élocution, mais je conserve toujours des séquelles. Le bégaiement n'est pas ni une cause ni une conséquence de cette opération. Mon handicap n'est apparu qu'à l'adolescence, le dénominateur commun avec mon élocution étant une faible difficulté respiratoire.

Ainsi ce n'est pas moi qui ait demandé la reconnaissance TH. Je vivais en province, sans emploi. Pour reprendre mes études, je suis monté à Paris. J'ai fait deux années en alternance. C'est la mission handicap de mon entreprise d'accueil qui, afin de me prendre en tant qu'apprenti, a voulu que j'obtienne cette reconnaissance. Je n'ai donc fait aucune démarche en ce sens.

Alex : Etant moi même reconnu travailleur handicapé de part mon bégaiement et ayant l'occasion de rencontrer de nombreuses personnes bègues, je suis souvent confronté à un certain blocage des personnes qui bégaient à demander la qualité de "travailleur handicapé". Qu'en pensez-vous ?

PM : Je peux comprendre que des bègues affichent une réticence à se faire reconnaître TH. Peut-être qu'eux-mêmes n'acceptent-ils pas leur propre handicap ou ne considèrent-ils pas leur difficulté d'élocution comme un handicap ? J'ai vécu aussi cette étape. Il faut avant tout les rassurer. Le suivi d'une orthophoniste est très important.

Alex : Comment pourrait-on présenter la chose afin de contourner ce blocage ?

PM : Je ne connais aucune méthode pour contourner cette appréhension. Une chose pourtant à laquelle je me suis rattaché depuis que j'ai cette reconnaissance : mon handicap n'est valable que sur le marché de l'emploi et non au quotidien. Je me considère, certes, comme un travailleur handicapé mais pas une personne handicapée. C'est cette différence qu'il faut sans doute creuser.

Alex : Que pensez-vous du bégaiement en tant que handicap dans le monde du travail ? Bien souvent, il est un frein à l'embauche car il ressort violemment à l'entretien avec un employeur. Cependant, les personnes bègues s'adaptent généralement plutôt bien voire très bien à leur poste.

PM : J'affirme que le bégaiement est un véritable frein à l'embauche. Les recruteurs ne comprennent pas (encore) qu'il faut laisser davantage de temps de parole à une personne bègue. Ils s'énervent vite ou ont une mauvaise impression sur le candidat, malgré ses compétences évidentes. Je vais vous narrer une anecdote : il y a quatre ans j'ai eu un entretien dans une grande entreprise, non loin de mon domicile. La femme face à moi était conciliante et me donnait du temps pour parler. Elle était très intéressée par mes aptitudes. Elle devait voir ses chefs pour leur imposer ma candidature. Or quelques jours plus tard, sans réponse de sa part, je lui ai téléphoné. Voilà ce qu'elle m'a répondu, toute gênée : "Nous ne mettons pas vos compétences en doute, votre profil est intéressant, mais mes chefs ont peur de ne pas pouvoir vous comprendre." Que faut-il penser de cette discrimination évidente ?!

C'est cette confrontation violente avec la difficile conjugaison "emploi et handicap" qui ont forgé handi-cv. Les employeurs pensent qu'il ne faut pas placer une personne bègue dans une situation qui fera ressortir son handicap, par exemple l'accueil téléphonique ou face au public. J'estime au contraire que c'est en mettant les bègues à des postes les obligeant à parler que leur handicap n'en sera plus un. Ils s'adapteront donc plus vite et mieux à leur poste. Il faudra par contre aménager les horaires et gérer un stress particulier.

Alex : Peut-on conseiller aux personnes bègues de faire une demande de statut de travailleur handicapé dans tous les cas ?

PM : Conseiller aux personnes bègues de se faire reconnaître n'est pas chose aisée. C'est leur choix, je ne ferais rien pour obliger ou recommander quiconque de demander la reconnaissance. Cela dépend aussi du niveau de bégaiement et de la façon que cette personne supporte bien ou non son handicap.

Alex : Comment présenteriez-vous le bégaiement et votre éventuel statut de travailleur handicapé à un recruteur ?

PM : J'imagine que dès les premières secondes, il aura déjà compris votre handicap. Quant au statut TH, je conseillerais aux candidats de questionner le recruteur d'abord, en toute innocence, sur sa politique handicap. Selon sa réponse, évoquer ensuite la reconnaissance TH et ses avantages. Si le recruteur fait une moue négative à chaque fois que le terme handicap est employé, c'est clair qu'il ne faut rien lui avouer. Par contre, s'il commence à raconter succinctement les projets déjà réalisés ou en cours sur l'accueil des TH, alors il est possible de lui en faire part. Dans tous les cas, ce testing peut être efficace n'importe le handicap.

Alex : Auriez-vous des conseils à donner aux personnes bègues en recherche d'emploi ?

PM : Le conseil que je donnerai à une personne bègue en recherche d'emploi est simple : si elle ne maîtrise pas complètement la parole, alors il faut maîtriser l'écriture ou un autre domaine de compétences. Rien de tel pour atténuer son handicap et prévaloir une compétence recherchée ou appréciable.




Je remercie Philippe Manaël pour avoir accepté de répondre à mes questions et d'en faire un billet pour ce blog.