Ces amis m’ont fait découvrir le Jeu de Rôle (JdR). Peut-être ne connaissez-vous pas ce que c’est ? C’est un jeu difficile à définir tant il offre de nombreuses libertés. De manière générale, un JdR est un loisir pratiqué en commun par un groupe de personnes qui a pour objet la simulation de la vie quotidienne et souvent aventureuse de personnages fictifs par l’improvisation théâtrale verbale et non gestuelle (à la différence des « grandeur-nature »). La particularité essentielle du JdR est son absence totale d’intéressement, d’enjeu. Aucun participant n’est désigné gagnant ou perdant en fin de partie. Le but de chacun est de partager avec les autres une histoire divertissante, stimulante intellectuellement, émouvante, et non de prouver une quelconque supériorité. Les joueurs (PJ) interprètent des personnages en vivant une aventure proposée par un autre joueur, le maître du jeu (MJ), qui prépare la trame de l'histoire, puis anime et arbitre la partie. Je ne parle donc pas des jeux de rôle sur ordinateur qui ne stimulent pas la communication orale.

Les premières séances de jeu étaient des séances d’initiation où je me faisais la main avec un guerrier dans un univers médiéval-fantastic. Au fur et à mesure des séances (d’une durée de 6 à 10 heures), nous nous aguerrissions au système de jeu et découvrions petit à petit les libertés infinies que le JdR propose. Nous nous sommes rapidement fatigués de l’univers médiéval, assez basique (« je tue, je fouille »), et nous nous sommes penché sur le côté psychologique et stratégique du JdR. Donc finis les systèmes de jeu compliqués avec dix lancés de dés à la minute, place à un système plus propre avec très peu de jets de dés (après quelques mois, nous faisions des séances entières sans un jet de dé) où les joueurs étaient exclusivement occupés à jouer leur personnage. Nous avons joué à Vampire la Mascarade qui dresse le tableau d’un univers proche du monde actuel, avec en parallèle à la société des hommes, la société vampirique. Les PJ y incarnent des vampires dans des guerres de clans et de territoires où la politique compte souvent plus que les combats. C’est un monde dans lequel on parvenait très facilement à pleinement s’immerger.

J’ai fait face à des situations de jeu qui nécessitait une certaine éloquence. Le plus étonnant est que mon bégaiement disparaissait quasi-totalement pendant ces séances de jeu. Je jouais quelqu’un d’influant, sûr de lui, charismatique - un peu l’opposé de ce que je suis dans la vie - et le jeu de rôle permettant de se fondre totalement avec son personnage le temps de la partie, je m’imprégnais du caractère de mon personnage si bien que ma façon de parler changeait et le bégaiement disparaissait. Je vivais des aventures extraordinaires. On peut retrouver la sensation éprouvée par le joueur de JdR lorsque, par exemple, on est focalisé sur un film et que l’on oublie tout ce qui nous entoure à l’instant présent. Sauf que dans le JdR, cet état de transe, de conscience modifié, est tourné vers l’univers que le MJ et les PJ construisent dans lequel votre personnage est le héros.

Cette expérience du non-bégaiement dans des situations extrêmes m’a aidé au quotidien, pour gagner en assurance et pour oser d’avantage. Car le JdR est un peu une simulation de nombreuses situations de tous les jours, et si l’on a réussi à les vivre sans bégaiement en jouant, pourquoi ne pourrait-on pas les réussir dans la vraie vie.

Je ne veux cependant pas dire dans cet article que le JdR est une solution miracle qui se suffit à elle-même, mais elle m’a aidé à franchir un cap dans mon bégaiement. On m’avait souvent conseillé de faire du théâtre, de chanter dans une chorale, de faire plein de choses que je ne trouvais pas naturel pour moi et dans lesquelles il me semblait que je ne pouvais trouver du plaisir. Le JdR est une façon ludique de travailler sa communication orale par l’improvisation dans des situations extrêmement variées. Cela dit, j’ai conscience d’avoir eu beaucoup de chances de rencontrer ces amis formidables avec qui j’ai pu m’adonner à ce jeu qui est devenu une passion. J’ai aussi eu la chance d’avoir un maître du jeu très motivé qui privilégiait les échanges verbaux plutôt que les interactions à coups de jets de dés. Aujourd’hui, du fait de l’éparpillement géographique engendré par les études et le travail, nous ne pouvons plus jouer, mais ces séances de jeu resteront pour moi des moments d’exception où mon bégaiement n’existait plus.