L'absence de recherche sur le bégaiement en France
Par Alexandre le Mardi 8 décembre 2009 - Réflexions - Lien permanent
Le manque de recherche sur le bégaiement en France constaté par bon nombre de personnes sur le net est un sujet récurrent. Les uns y trouvent une raison à l’absence d’avancées significatives quant au traitement du bégaiement, les autres trouvent tout simplement dommage de laisser ce champ de la science aux Américains ou aux Chinois. Ce constat récurrent a suscité la réaction du Dr Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel, l’un des rares chercheurs français en matière de bégaiement (et elle ne fait pas que ça, loin de là…).
Il n’y a pas de recherche sur le bégaiement en France
Énoncé comme cela, effectivement, on peut répondre qu’il n’y a pas de recherche sur le bégaiement en France.
Simplement, ça ne marche pas comme cela la recherche scientifique.
Il y a de la recherche, de par le monde, et pour que la communauté scientifique le partage, il y a des revues spécialisées, des sites dédiés et des congrès professionnels consacrés à la question.
De plus, la recherche sur un sujet profite à d’autres sujets.
Il y a d’abord eu, dans les années 70-80 une recherche qui dure encore sur les mécanismes de la parole (dans de grands labos américains, en fait deux) ; il y en a eu sur les mouvements anormaux du larynx, il y en a eu sur les troubles attentionnels, il y en a eu sur les mécanismes d’apparition du langage, de la parole etc…
Certaines de ces recherches ont révélé qu’une partie de la population possédait des caractéristiques particulières.
C’est ainsi que les labos travaillant sur la parole ont vite été amenés à travailler sur le bégaiement (mais aussi sur d’autres pathologies).
C’est en lisant des revues spécialisées (comme Journal of Speech and Hearing Research, Journal of Fluency Disorders, Journal of Communication Disorders) que les professionnels se tiennent au courant des résultats les uns des autres.
Et qu’ils peuvent répéter les expériences, ce qui est une des conditions de leur validité.
Il faut savoir aussi que soumettre un article pour une publication dans une revue agréée est un parcours du combattant ; l’article est relu de façon anonyme, des modifications peuvent être demandées, etc. il y a toujours le risque d’être rejeté si la méthodologie est défaillante. C’est un monde sans pitié. C’est aussi, disons le, un monde où chacun avance ses pions.
Pour avoir du temps pour faire de la recherche, il faut aussi être payé pour cela. Un chercheur, ça mange, ça paye son loyer, ça élève ses enfants.
En France il n’y a pas de professionnels temps plein salariés qui puissent se consacrer à la recherche sur le bégaiement. Il y en a quatre ou cinq qui ont d’autres centres d’intérêt que le bégaiement (et c’est leur droit), mais leurs recherches peuvent aussi apporter des avancées dans le domaine du bégaiement.
De plus les médecins phoniatres n’ont constitutionnellement pas accès aux carrières universitaires en tant que tels. Ceux et celles qui accèdent (parce que c’est leur choix aussi) à ces carrières le font au nom d’une autre spécialité, en général l’ORL, et travaillent dans des services ou des organismes où les campagnes et objectifs de recherche se décident en équipe et sont soumis à évaluation par des collèges de collègues. Donc on ne peut décréter, un beau matin en se levant, « et tiens, si je faisais de la recherche sur le bégaiement ».
La recherche sur le bégaiement bouge beaucoup en ce moment, surtout en Chine. Parce qu’il y a une volonté « politique » derrière cela- un projet global de recherche, donc la mise à disposition de moyens au service de personnes qui sont intéressées par le problème. Mais le résultat de leurs publications arrive sur nos fils de recherche le jour de leur parution…
C’est cela la communauté scientifique.
Il faut aussi bien distinguer la recherche fondamentale de la recherche appliquée (ou recherche clinique).
La première concerne les grands mécanismes (par exemple la mise en évidence des aires cérébrales concernées, le rôle des neurotransmetteurs, le décryptage génétique), la seconde cherche à affiner les approches cliniques, le diagnostic différentiel, à éprouver l’efficacité des thérapeutiques- bref à mettre en application les découvertes de la recherche fondamentale. Mais cela peut aussi fonctionner dans l’autre sens : une constatation faite en recherche appliquée peut amener à formuler une interrogation à laquelle la recherche fondamentale répondra.
Je vois ici et là, en lisant les blogs (oui, je lis les blogs ! la preuve j’y collabore) ironiser sur de la « recherche inutile »… ou de la recherche qui ne fait pas beaucoup avancer le schmilblick.
Dans le domaine universitaire, pour valider certaines étapes, un chercheur ou un enseignant ou un thésard doivent « publier », c’est à dire soumettre à un jury de pairs un article reprenant un ou des aspects de leur démarche..Cela peut être très pointu, pas directement applicable… voire éloigné de la réalité que vit une personne bègue.
Il n’y a pas de recherche inutile ni de démarche frivole. Chacun apporte sa pierre à l’édifice – tout le monde n’apporte pas toujours la clef de voûte.
Il pourrait certes y avoir plus de recherche en France sur le bégaiement. Il faudrait pour cela aussi que le public concerné se mobilise lui aussi. Les associations pour le moment ne financent rien du tout, ne subventionnent personne et – à ma connaissance- ne cherchent pas à le faire en créant des prix ou en soutenant des publications.
Les professionnels qui font un peu de recherche appliquée le font « after hours » comme je dis, après les heures qu’ils doivent consacrer à la patientèle, à la gestion de leur pratique – voire aux recherches autres propres à leur équipe.
Les mémoires d’orthophonie pourraient être un bon départ, et l’on en a vu d’excellents… mais la collecte de données se fait sur quelques mois, et une fois le mémoire soutenu, les auteurs disparaissent dans la nature – ce qui est navrant quand les pistes amorcées s’avéraient prometteuses.
Au public intéressé de réfléchir aussi au moyen de susciter des vocations, de soutenir et de promouvoir la recherche. Elle a un coût, plutôt qu’un prix, et ce coût personne ne cherche à l’assumer pour l’heure. Il y a peut-être là le pouvoir de changer les choses.
Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel
1/12/09
Commentaires
Il faut vous addresser au site du Professeur Mark Onslow en Australie; il est directeur d’un Centre de recherche sur le bégaiement à l’Université de Sydney. (Australian Stuttering Research Centre).
La communication verbale est essentielle pour la qualité de vie. Le bégaiement affecte la qualité de vie, toute comme des conditions telles que les traumatismes neurologiques et les maladies coronariennes. Il persiste pendant toute une vie, mais, contrairement à de telles maladies, il commence très tôt dans la vie.
Le bégaiement est commun, avec un taux de 8,5% (l’incidence cumulée) d’enfants à 3 ans. A 4 ans, l’incidence cumulée est de 11,2% avec seulement une sur 16 enfants qui se remettent naturellement durant 1 an après l’apparition, qui est le délai maximum qui doit s’écouler avant le début du traitement. S’il n’est pas contrôlé pendant les années préscolaires, le bégaiement devient intraitable peu après.
Le désordre empêche l’écoulement normal de la parole et produit le défigurement physique. Les comportements aberrants du bégaiement affectent le taux de transfert verbal. Lorsqu’il est sévère, le taux de transfert verbal du bégaiement est en dessous de 50 syllabes par minute, et cela est de moins d’un quart des pairs.
Il existe une relation linéaire entre le bégaiement gravité et la réussite scolaire. Ceux qui ne terminent pas leurs études secondaires sont six fois plus sévères que celles qui terminent un diplôme de maîtrise.
Pour une portion importante de patients, le bégaiement résulte en un diagnostic de la maladie mentale Phobie sociale. De tels rapports de cas sont communs, et un diagnostic de phobie sociale est signalé pour 40-60% des cohortes de patients. Des patients ont un bégaiement de 34 fois plus de taux de phobie sociale par rapport à la population comparable, et sont à risque aussi de l’anxiété liées à l’humeur et troubles de personnalité. Les deux tiers des patients qui ont la phobie sociale ou un autre problème de santé mentale sont peu susceptibles d’avoir de réhabilitation réussie.
Traduit d’un texte de Professeur Onslow