Je fais un petit abus de langage en parlant de thérapeutes lorsque je parle en particulier d'Ivan Impoco et de Christian Boisard, mais pour la compréhension du discours, le terme "thérapeutes bègues" désignera les professionnels du bégaiement ou les formateurs de "stages sauvages" ayant souffert ou souffrant toujours du bégaiement.

L'intérêt évident que présente le thérapeute bègue qui s'occupe de personnes bègues est qu'il connait parfaitement le bégaiement puisque il a vécu avec ce trouble de la communication dans toute sa complexité : tantôt vécu comme une petite différence, tantôt comme un terrible handicap qui entrave les choix de vie de la personne qui en souffre. Ainsi, une compréhension mutuelle du bégaiement s'instaure naturellement entre le thérapeute bègue et son patient. Le patient pourra plus facilement se sentir proche de son thérapeute, partager aisément ses expériences, voire même prendre le thérapeute comme un parfait exemple de réussite malgré un bégaiement (cela est en particulier vrai avec les formateurs de "stages sauvages" qui se posent en modèle devant leur stagiaire, l'objet du stage étant qu'ils reproduisent les techniques que le formateur met déjà en œuvre avec succès pour son cas personnel). Pour des patients renfermés sur eux-mêmes du fait de leur bégaiement, le thérapeute bègue peut leur confier sa propre expérience de telle sorte à instaurer une complicité propice au fait qu'ils acceptent de parler de leur propre bégaiement.

Cependant, le bégaiement d'un thérapeute peut profondément le déservir s'il reste trop centré sur son expérience personnel, tentant de reproduire chez le patient son schéma de réussite sans prendre en compte la spécificité du bégaiement de son patient ; car nous savons bien que chaque bégaiement est unique, sa construction étant intimement liée à l'histoire et aux ressentis de la personne bègue. Il est déjà difficile de bien comprendre son propre bégaiement, alors lorsqu'il faut tenter de comprendre celui de ses patients, il peut être difficile de ne pas se laisser influencer par son propre vécu. Il peut être difficile d'avoir le recul nécessaire pour assurer un bon traitement du patient, en prenant en compte sa vision, ses émotions, ses objectifs.

Prenons un exemple. Ivan Impoco a créé sa propre méthode pour mieux gérer son bégaiement (son "incertitude orale"). Aujourd'hui en tant que formateur, il ne fait que calquer sa méthode et son schéma de réussite sur ses stagiaires, laissant de côté les stagiaires un peu différents pour qui la méthode est inefficace (ou inapplicable) sur la durée. A cela répondra-t-il certainement que ces stagiaires manquaient de motivation, ou qu'ils n'avaient pas l'énergie suffisante pour se battre contre leur bégaiement. Cette simple pensée illustre parfaitement le fait qu'Ivan Impoco reste cloîtrer dans ses propres mécanismes qu'il veut aveuglément insuffler chez les autres.

C'est pourquoi je pense qu'il est dangereux qu'un thérapeute se prenne comme exemple pour guider son patient vers sa victoire face au bégaiement. Je crois que l'essentiel pour un thérapeute est de pouvoir instaurer entre son patient et lui-même un climat de confiance, une véritable collaboration, une profonde alliance pour aller vers les objectifs du patient, en respectant ses convictions et en sachant lui insuffler l'énergie et la motivation suffisantes à l'atteinte de ses objectifs.

Comme vous le voyez, il y a des pour et des contre à faire appel à un thérapeute bègue ou non. Mais finalement, je ne pense pas que cette considération doit entrer en ligne de compte pour le choix de son thérapeute. Peu importe que le thérapeute ait été ou soit encore, ou n'est jamais été bègue. L'essentiel est ailleurs, dans la complicité qui s'instaure entre le thérapeute et son patient et le travail efficace qui en est le fruit.


Ci-après le lien vers le texte qui a suscité et nourrit ma réflexion : Joe and Joe