Mars 2008 est à marquer d’une pierre blanche pour la communauté des personnes bègues de l’île Maurice. En effet pour la première fois un stage thérapeutique intensif résidentiel y a été organisé. Le stage, qui a duré une semaine, était animé conjointement par Anne-Marie Simon et Aude Fresnay.

Dans le sillage de l’organisation de ce stage, un chamboulement important a pris place dans les structures d’aide autour du bégaiement de l’île. Il y a eu une scission au sein de la toute première structure regroupant les personnes bègues – et éventuellement la création de Friends 4 Fluency – un groupe de parole pour personnes bègues.

La toute première initiative de self-help à Maurice remonte à septembre 2005, et cela suite à une rencontre que j’ai eu avec Mark Irwin, le président d’alors de l’International Stuttering Association. C’est suivant son conseil, et je dirai même son insistance – car j’étais très hésitant au départ, que j’ai fait paraître une annonce dans un hebdomadaire invitant les personnes qui bégaient à une rencontre avec Mark, et c’est au cours de cette rencontre que les membres présents décidèrent de lancer ensemble le tout premier groupe de parole pour personnes bègues. Il est vrai que nous ne nous connaissions pas auparavant, mais sous les auspices de Mark une amitié solide et profonde a commencé à se tisser entre nous dès notre première rencontre.

La plupart d’entre nous n’avaient pas suivi de thérapie orthophonique dans le passé, et donc ce premier groupe de parole fut pour nous tous comme une bouffée d’air frais. Le premier effet de se retrouver ensemble et de pouvoir parler ouvertement de notre bégaiement fut un boost incroyable de notre niveau de confiance en soi – et cela se traduisit immédiatement dans une amélioration générale dans notre manière de communiquer. Pour certains d’entre nous, c’était une plus grande fluidité de la parole – mais ce n’était pas cela le plus important. Le plus impressionnant c’était de constater que nous apprenions ensemble à être plus à l’aise dans nos relations avec les autres, que nous avions moins peur de nous lancer dans une conversation, et que nous commencions progressivement à accepter le fait que nous étions des personnes bègues, et que cela ne pouvait en aucune manière nous empêcher d’être heureux.

Notre groupe de parole prit le nom de Parole d’Espoir, et de bouche à oreille le nombre de membres augmenta sensiblement. Au fil de nos réunions et avec l’aide de Mark Irwin, nous développâmes un programme de travail qui était adapté au contexte mauricien. Parole d’Espoir établit aussi de nombreux contacts avec les personnes bègues d’autres pays. Joseph Lukong nous mit en relation avec le Stuttering Foundation of America et cette fondation nous envoya toute une série de livres, magazines et DVDs pour la mise en place d’une bibliothèque à l’intention de nos membres. Il va sans dire que cette bibliothèque eut beaucoup de succès auprès des membres. Nous découvrîmes avec stupeur et enchantement que le bégaiement était loin d’être un sujet tabou dans les autres parties du monde, et aussi qu’il était possible de s’en sortir grâce à la thérapie individuelle et au self-help.

Notre groupe de parole fonctionna merveilleusement bien jusqu’en janvier 2007 – jusqu’au moment où, au détour d’une émission de télévision, nous entrâmes en contact avec un groupe de parents qui avaient pour ambition se lancer dans l’associatif afin d’aider les personnes bègues « au niveau national ». Au cours d’une réunion de notre groupe de parole, nous devions poser la question quant à savoir si nous voulions collaborer avec ce groupe de parents. La réponse était oui, car nous voulions partager nos acquis et notre expérience avec les autres personnes bègues de notre pays. Mais aucun d’entre nous réalisât à cet instant précis que notre groupe de parole, dans sa manière originale de fonctionner – de manière informelle et basée sur l’amitié et la confiance en l’autre – était sur le point de toucher à sa fin.

Au tout début, la collaboration se passa plutôt bien avec le groupe de parents. Mais au fil des réunions, nous devions réaliser que nous n’avions plus notre mot à dire sur le fonctionnement de l’association nouvellement créée. Puis les choses se dégradèrent très vite, et je n’eus d’autre choix que de démissionner sous peine d’être sommairement expulsé de l’association. De toutes les façons, il était devenu impossible d’aider les autres dans des conditions aussi déplorables. Mes amis et moi-même nous passions par des moments très sombres et très difficiles. Nous étions complètement désemparés de devoir quitter Parole d’Espoir – et de le quitter d’une façon aussi brutale et aussi blessante. Nous étions totalement démunis et pas du tout préparés à cela. Au même moment nous devions réaliser que nous avions tout perdu – pour commencer, le nom Parole d’Espoir (ce nom avait une très grande valeur affective pour nous), nos livres, magazines et DVDs, et même une somme d’argent que j’avais en toute bonne foi prêté au groupe de parents pour payer les frais de transport pour une activité de groupe. Il était convenu avec eux qu’ils me rembourseraient la somme en question dès que le compte en banque de l’association serait opérationnel – car en effet un conseil municipal avait remis un chèque de parrainage pour couvrir les frais de transport pour la sortie. Mais à la suite de nos divergences, ils changèrent d’avis et ne remboursèrent jamais la somme due.

Je ne vais pas m’étendre d’avantage sur ce conflit absurde et stérile – qui à mon avis aurait pu être évité avec un minimum de bon sens et un peu de considération à l’égard des personnes bègues de l’île Maurice. Malheureusement, ce fut pot de terre contre pot de fer, et nous nous sommes retrouvés à la rue. Nous avions deux options : soit tout arrêter, ou alors persévérer – même si nous devions tout recommencer à zéro. La décision fut unanime que nous devions continuer, et nous avons donc continué à nous rencontrer très régulièrement les dimanches matins dans les locaux d’une école de commerce (gracieusement mise à notre disposition grâce à l’intervention d’un de nos membres). Pendant sa visite en juin 2007, Anne-Marie Simon avait proposé de tenir un stage thérapeutique intensif à Maurice. Toutefois, suite à ce conflit, elle était un peu découragée mais elle fut vite convaincue par notre bonne foi et notre motivation à toute épreuve et confirma que le stage allait avoir lieu ! Nous étions aux anges et aussitôt commençâmes les préparatifs.

Sur la photo de gauche à droite : Balram, Jim, Aude, Briguel, Anne-Marie, Faz, Christophe, Dev et Yasvin.

Le stage se déroula du 2 au 9 mars 2008 et ce fut un moment absolument à part dans notre vie. La qualité des formations et des soins que nos deux orthophonistes nous réservèrent dépassa de très loin nos attentes. Il y avait un programme commun pour tout le groupe – et en même temps un suivi individuel pour chacun. A la fin de stage nous avions acquis une bonne connaissance de notre type de bégaiement personnel, des pistes quant aux causes éventuelles, et une bonne dizaine de techniques et d’exercices à pratiquer en groupe et individuellement.

Quand le stage intensif prit fin, nous étions comme sur un petit nuage, et avons mis un peu de temps avant de redescendre sur terre. Mais nous devions reprendre pied à terre car nos orthophonistes nous avaient laissés du travail ! Nous devions continuer le self-help avec les techniques nouvellement apprises et aussi commencer à réfléchir aux activités que nous pouvions entreprendre au niveau local pour toucher les personnes bègues.

Il est vrai que nous avons été quelque peu isolé de la communauté des personnes bègues à Maurice depuis que nous avons pris congé de l’association. Notre objectif cependant est d'ouvrir progressivement notre groupe de parole à ceux qui veulent se joindre à nous. Toutefois, nous avons décider d’y aller étape par étape car nous voulons à tous prix préserver la cordialité et la solidarité qui caractérisent nos réunions et nos relations. Nous voulons préserver l’identité profonde de notre démarche initiale – qui est pour l’essentiel d’être un groupe d’amis faisant route ensemble vers plus de fluence dans notre parole et plus de liberté dans nos relations.

Jim Caroopen
1er septembre 2008
Email : friends4fluency(at)gmail.com