Je vais donc d'abord rappeler le texte que j'ai rédigé en m'appuyant sur des avis des membres du forum PdB :

Dans le domaine sportif, le handicap permet d’égaliser les chances des concurrents d'âge ou de qualités différents en leur attribuant ou en leur ôtant une certaine avance de temps, de distance ou de poids. En France, il est acquis que le bégaiement est un handicap (classé comme « déficience de l’élocution » d’après la Nomenclature des déficiences, incapacités et désavantages de l’Arrêté du 9 janvier 1989) et la certification d’handicapé que la COTOREP fournit permet à des personnes bègues de compenser leurs difficultés d’élocution en leur offrant plus de facilités à l’embauche par exemple. A titre personnel, j’ai pu bénéficier de cette reconnaissance sans laquelle je n’aurais pu accéder à un travail à ma juste valeur.

La reconnaissance du bégaiement comme handicap n’est pas sans poser problème. Il peut être considérer comme une fuite de responsabilité, comme quelque chose qui nous échappe et avec lequel on ne peut rien faire. Ainsi il serait ennuyeux de se satisfaire de ce statut d’handicapé pour ne plus chercher à traiter le bégaiement.

La reconnaissance du bégaiement comme handicap est pourtant légitime. Il est indéniable que ce trouble de la communication entrave de nombreux aspects de la vie d’une personne bègue (professionnel comme affectif) et, qu’au quotidien, il empêche à la personne bègue d’établir de saines situations de communication. Les personnes bègues ont pour la plupart souffert de discrimination, notamment au travail, à l’embauche ou pour évoluer professionnellement. Il n’est pas simple d’être considérer à sa juste valeur lorsque l’on est dans l’incapacité à se mettre en valeur oralement. D’autant plus que la représentation des personnes bègues dans notre société n’est pas là pour arranger le tableau : que ce soit dans les films, à la télévision ou dans les journaux, les personnes bègues sont trop souvent montrées comme des simplets ou des retardés mentaux lorsqu’il ne s’agit pas de fous ou de psychopathes. Les plaisanteries sur le bégaiement sont monnaie courante et l’entourage plus ou moins proches ne sait bien souvent pas comment réagir face à une personne bègue. Ainsi, l’école peut être vécue comme un enfer lorsqu’il n’est pas interrompu par le suicide de l’enfant bègue, harassé par toutes ces marques d’incompréhension. En effet, il est bien triste de constater que le bégaiement mène parfois au suicide.

Après avoir constaté toutes les incidences du bégaiement sur la personne bègue, quoi de plus naturel que de vouloir rétablir un semblant d’équité entre le bègue et le non-bègue en parlant du bégaiement comme d’un handicap ? J’aimerais ajouter que ce n’est pas parce que l’on parlera d’handicap que le bégaiement sera considéré comme une fatalité, un mal incurable face auquel nous sommes impuissants. Le statut de « travailleur handicapé » de la COTOREP n’est d’ailleurs valable que 5 ans renouvelables. Pour le grand public, parler du bégaiement comme d’un handicap serait un moyen pour qu’il comprenne la difficulté d’en sortir. Non, nous ne bégayons pas parce que nous le voulons bien. Pour la personne bègue, cela permet certainement de prendre conscience plus facilement du handicap et de le traiter le plus tôt possible. Cela permet aussi d’envisager une aide extérieure de manière plus naturelle et plus spontanée. « Peut-être n’est-ce pas vraiment ma faute si je bégaie ? Alors si c’est en partie la faute des autres, pourquoi ne m’aideraient-ils pas ?» C’est ainsi que j’ai entrepris la démarche volontaire d’aller voir une orthophoniste. Accepter son bégaiement comme un handicap, c’est un peu s’ouvrir aux autres et accepter leurs aides.

Pour finir, j’aimerais ajouter que je ne souhaite pas attribuer la qualité d’« handicapé » à toutes les personnes bègues. Le bégaiement est, par état de fait, un handicap au sens légal du mot. Cependant, comme tout handicap, il est possible de mieux vivre avec jusqu'à quasiment l'oublier, il est possible que ce handicap soit plus ou moins handicapant selon l'état d'esprit de la personne à une époque de sa vie. Il est donc important que la démarche de reconnaissance du handicap soit personnelle et limitée dans le temps. Personnellement, je vis le bégaiement comme un réel handicap, un empêchement à vivre normalement une vie à part entière. Mais j'ai conscience et espoir que tout cela peut changer, et que je peux prétendre au bonheur comme chacun ici-bas.

Ce texte a été présenté parmi d’autres aux membres du Conseil d’Administration (CA) de l’Association Parole-Bégaiement (APB) afin de préparer une réunion de réflexion, le 24 juin dernier, sur la question du bégaiement et du handicap. Cette réunion devait permettre de définir des orientations de l’APB à ce sujet, orientations ensuite sujettes au vote du CA dans l’après-midi.

Rappelons le contexte actuel favorable à cette discussion. Fin 2002, la Présidence de la République avait élevé l’insertion professionnelle des personnes handicapées au rang de priorité nationale pour ce quinquennat. L’Union Européenne avait de même lancé le débat en menant une campagne de sensibilisation sur ce même thême : « 2003, l’année européenne des personnes handicapées ». La loi d’orientation du 30 juin 1975 est considérée comme fondatrice en matière de solidarité nationale à l'égard des personnes handicapées en créant des droits, des services, prestations et institutions couvrant divers aspects de la vie des personnes handicapées. Cette loi a ensuite été complétée pour faciliter l'accès des handicapés à l'emploi, à l'éducation, aux lieux publics et à leurs habitations. L'obligation de solidarité nationale s'est vue renforcée avec l'affirmation d'un droit à compensation du handicap dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. La loi du 11 fevrier 2005, dont la rédaction a impliquée les associations de personnes handicapées, apporte de nombreuses évolutions sur des points fondamentaux comme l’éducation et l’emploi.

En même temps que l’implication politique croit, le regard de la société sur le handicap a évolué depuis une vingtaine d’années. Parler de handicap n’est plus un tabou. La loi du 11 fevrier 2005 portant sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées illustre cette évolution en proposant une nouvelle définition du terme handicap : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. » Il est très intéressant de noter la notion de durabilité qui permet d’introduire dans la notion de handicap les troubles handicapants fluctuant dans le temps, tel le bégaiement.

Dans un tel contexte, l’APB a tout intérêt à faire valoir le bégaiement comme handicap pour entrer dans la synergie actuel et faire bénéficier aux personnes bègues des dispositions favorables mises en place au niveau national comme au niveau européen. La prise de position de l’APB sur ce sujet était donc extrêmement attendue et c’est avec cette motivation que j’ai pu assister au groupe de réflexion sur le handicap puis à la réunion du CA le 24 juin à Paris.

J’ai fait le voyage depuis l’Isère en passant par Lyon jusqu’à Paris en TGV le matin même en compagnie du coordinateur des régions de l’APB, Xavier Lefebvre. Ce fut un voyage très agréable, riches de discussions sur le bégaiement, sur l’APB, et sur la vie de chacun. La fin de matinée et le début de l’après-midi fut consacré au groupe de réflexion. Ce groupe (dit groupe Marvaud) était constitué de membres du CA. Ce jour là, autour de la table ronde se tenaient en particulier Jean Marvaud, Anne-Marie Simon, Daniel Poussin, Alain Paute, Xavier Lefebvre, Véronique Boucand, François Garczynski, François Le Huche et Martine Marteau (je me rappelle de deux autres personnes mais impossible de replacer leurs noms, désolé). Nous connaissions quasiment tous les avis de chacun puisque les avis de chacun (dont le texte plus haut en ce qui me concerne) avaient été diffusés par mail. Nous étions tous d’accord pour parler du bégaiement comme d’un handicap. Quelques points ont tout de même fait débat, et notamment la distinction entre « avoir un handicap » et « être handicapé ». Le terme « handicapé » ne sera a priori pas repris par l’APB d’ailleurs. Nous avons rédigé tous ensemble un petit texte pour définir le bégaiement comme handicap, en insistant sur la souffrance psychologique et le décalage entre ce que l’on est et ce que l’on paraît être. Je ne l’ai malheureusement pas récupéré mais gageons que l’APB diffuse ce texte rapidement (le texte a également été discuté en groupe de self-help à Paris).

Suite à cette réunion de réflexion s’est tenu celle du Conseil d’Administration, toujours sous la forme d’une table ronde. Quelques personnes sont venues se greffer au groupe Marvaud. Les discussions portaient davantage sur l’organisation de manifestations, de réunions dans les départements, de manière de diffuser des informations, des actions concrètes à mener. Le texte sur le handicap a été voté. Après ce CA, nous avons pu nous réunir entre personnes bègues dans un bistrot. La soirée allait continuer et le week end à Paris se prolonger jusqu’au dimanche, mais c’est une autre histoire.

A noter aussi que j’ai pu croiser ce samedi la mère de Margaux, la première personne bègue qui m’avait accueilli lorsque je débarquais pour la première fois à l’APB. J’étais également très content de découvrir les figures emblématiques de l’association, son président, ses professionnels émérites et ses personnes bègues d’une grande disponibilité… et mon orthophoniste ! Voir des gens se battre pour un idéal commun aussi grand que l’aide aux personnes bègues est réjouissant.